Edito #4
L’Europe au point de bascule
Publié le 30 avr. 2024
Il est de ces signaux qui ne trompent pas. Des points de bascule plus proches qu’on ne l’aurait voulu. Et qui nous interdisent de regarder ailleurs.
Hier se tenait aux Pays-Bas un débat dont il est malheureusement probable que vous n’ayez pas entendu parler : les Spitzenkandidaten, les candidats à la présidence de la Commission européenne, ont eu l’occasion d’exposer leurs visions et projets respectifs pour l’Europe. Je vous encourage vivement à regarder la rediffusion du débat en question ; mais mon objet n’est pas ici de vous en faire le résumé.
Non, je suis là pour vous rapporter une phrase d’apparence anodine sortie de la bouche de l’actuelle Présidente de la Commission et candidate à un second mandat, Ursula von der Leyen : « Je ne l’exclus pas ». La tête de liste des conservateurs du PPE – contestée jusque dans son propre camp – répondait à une question que lui adressait le candidat écologiste Bas Eickhout. Si elle devait être reconduite, envisagerait-elle de faire alliance avec le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) ? Ce à quoi Madame von der Leyen répond donc sans honte qu’après tout, pourquoi pas. Et le point de bascule se rapproche dangereusement.
Car qui sont-ils, ces conservateurs et réformistes ? Ce sont les amis de Madame Meloni, les nostalgiques de l’Espagne franquiste de Vox ou encore les sbires d’Éric Zemmour, et peut-être demain les envoyés de Viktor Orban… Des eurosceptiques assumés qui ont pour dénominateurs communs le rejet en bloc de l’écologie et de l’immigration. En bon français, cela s’appelle l’extrême droite.
Le glissement de Madame von der Leyen est tout sauf anodin. La politique européenne a été dominée pendant les cinq dernières années par une coalition du statu quo rassemblant les conservateurs, les libéraux et la majorité des sociaux-démocrates ; demain, cette dernière pourrait bien, si les vues de l’actuelle Présidente de la Commission devaient prévaloir, changer de nature et former un nouvel axe des grandes régressions écologique, démocratique et sociale.
Et pour l’Europe, le champ des possibles se renfermerait encore un peu plus. S’il est une chose que les cinq années passées au Parlement européen m’ont appris, c’est que rien n’est jamais joué d’avance. Les derniers votes de la mandature la semaine dernière en sont une bonne illustration. Le devoir de vigilance qui rend les entreprises comptables de leurs impacts sociaux et environnementaux ? Adopté. La présomption de salariat pour les 28 millions de travailleurs uberisés au sein de l’Union ? Adoptée. L’interdiction de l’importation, de la vente et de l’exportation des produits issus du travail forcé ? Adoptée. Mais dans le même temps : adoption du Net Zero Industry Act qui allège les procédures d’étude d’impact et de concertation, détricotage environnemental de la PAC et retour à la case austérité…
Chaque bataille mérite d’être menée avec le même degré de détermination ; mais pour accroître ses chances de remporter des victoires, il faut avoir des troupes en nombre à ses côtés. Ne vous y trompez pas : c’est tout l’enjeu du 9 juin prochain.
L’Europe sera ce que nous en ferons.
Vous ai-je dit que rien n’était jamais joué d’avance ?